Fév 25 2012

Notions d'espace, de représentation et de profil de couleur

120224_notions_couleurs.jpgAprès l'introduction aux problématiques de la gestion des couleurs, je vous propose d'aborder les notions d'espace, de représentation et de profil de couleur qui sont souvent perçues comme un magma dans lequel il est difficile de distinguer l'essentiel de l'accessoire. L'objectif de cet article est de poser quelques repères pour clarifier ces notions fondamentales très souvent invoquées en gestion des couleurs. Nous les approfondirons et les illustrerons dans les sujets pratiques à venir : colorimétrie des appareils photo et des logiciels, calibrage des périphériques intervenant dans la chaîne de traitement, etc.
À la suite de cet article préliminaire, nous en proposerons deux autres. Le premier présentera les outils et les modalités de visualisation des espaces et des profils de couleurs. Le second abordera la question de l'évaluation de la justesse de la colorimétrie et servira d'introduction aux procédures de calibrage.
Je vous accorde bien volontiers que ces préalables ne sont pas très glamour, mais ce sont des briques de bases importantes sur lesquelles s'appuieront les prochains articles.


Les modes de représentation des couleurs

La problématique commune aux notions que nous allons tenter de préciser est la description d'une couleur et, plus généralement, d'un comportement colorimétrique. Pour cela, il faut définir un référentiel susceptible de décrire une couleur de façon unique. L'analogie avec le positionnement terrestre est assez pertinente : un triplet (latitude, longitude, altitude) définit de façon précise dans le référentiel terrestre n'importe quel point de l'espace. D'autres choix sont possibles, mais c'est celui qui a été adopté. S'agissant des couleurs, ce sont également des représentations tridimensionnelles qui ont été choisies :
• La représentation RVB (rouge, vert, bleu) prévaut dans l'univers de la photographie. Chaque couleur est définie comme un mélange unique des trois couleurs primaires RVB, une primaire ne pouvant être produite par un mélange des deux autres.
• Pour décrire une couleur de manière moins mathématique, le modèle perceptuel TSL est très utilisé, notamment dans les logiciels. Il n'est pas parfait, mais a le mérite de s'appuyer sur des notions plus simples à penser et à manipuler : teinte, saturation et luminance.
• Un troisième mode de représentation, dit Lab (ou La*b*), a le mérite de séparer la luminance L des deux composantes couleur a et b (qui vont respectivement du vert au rouge et du bleu au jaune). Le mode Lab sert souvent d'intermédiaire lors des conversions entre espaces, profils ou modes de représentation.
• Basé sur les primaires complémentaires cyan, magenta et jaune (auxquelles a été ajouté le noir), le mode CMJN (ou CMYK en anglais) est le dernier mode de représentation important en photographie. Il concerne l'univers de l'impression dans son ensemble.
Il existe bien d'autres modes de représentation des couleurs, mais il n'est pas indispensable de les connaître. Toutefois, certains sont incontournables au travers de représentations graphiques devenues des standards. Ainsi, le diagramme de chromaticité xy que vous voyez en visuel d'ouverture est une "coupe" de l'espace CIExyY, lui-même étant un avatar de l'espace CIEXYZ. En connaître les fondements relève plus de la curiosité que de la nécessité, mais c'est sur ce diagramme que se voient souvent tracés les limites des espaces et profils de couleur. Nous en reparlerons dans le prochain article.

Il est important de comprendre que ces représentations ne sont que modalités différentes pour décrire la même chose : les couleurs. Chacune est adaptée à un domaine précis : le RVB est la représentation universelle dans laquelle sont codées par défaut les photographies numériques, le TSL est pertinent pour réaliser des retouches dans un langage compréhensible, le Lab est un mode intermédiaire pour réaliser des interventions ciblées sur la luminance ou les couleurs et le CMJN est le mode des couleurs "séparées" pour l'impression. Sauf pour certaines opérations assez pointues, vous n'aurez pas à vous préoccuper des conversions d'un mode à un autre, elles seront prises en charge par les logiciels. En revanche, les changements d'espace colorimétrique sont nombreux au cours d'un flux de traitement, et vous devrez réaliser vous-même certains d'entre eux.


Les espaces de couleur

Un espace de couleur (ou espace colorimétrique) est une gamme de couleurs associées à un système de codage. Il y a souvent confusion entre espace et mode de représentation des couleurs. De mon point de vue, on ne devrait pas parler d'espace RVB, comme on le voit souvent, mais d'espace de "type RVB". Il en existe de nombreux, standardisés et basés sur des définitions différentes des primaires RVB, ou comportementaux (c'est le cas de certains périphériques, notamment ceux dont le RVB n'est pas le mode de représentation naturel ou qui ne sont pas en capacité de restituer l'intégralité de leur espace théorique).
Les principaux espaces de type RVB dans le domaine photographique sont le "petit" sRGB et le "grand" Adobe RGB, qui sont devenus des standards incontournables. Ils ont la particularité de partager les primaires bleue et rouge, seule la verte étant différente. Ce sont les deux espaces proposés par la plupart des appareils photo et dans lesquels le Jpeg sera codé (au choix du photographe). En Raw, la colorimétrie ne se fixe qu'au moment du développement, ce qui est grandement préférable.
D'autres espaces de type RVB interviennent dans le flux de production. Pour effectuer leurs calculs, les logiciels utilisent un espace de travail qui doit idéalement être plus grand que les espaces d'entrée et de sortie afin de minimiser les erreurs. L'espace Adobe RGB est un minimum souvent raisonnable, mais il est possible (et parfois souhaitable) d'opter pour un espace encore plus grand, comme le ProPhoto RGB.
Chaque périphérique possède son espace colorimétrique, qui correspond à l'ensemble des couleurs qu'il peut enregistrer, restituer ou imprimer. On parle souvent de "comportement" colorimétrique pour les périphériques dont l'espace associé ne se définit pas de façon simple au moyen d'un triplet de couleurs primaires, au contraire des espaces standards ou de référence.
Le problème posé par cette multiplicité d'espaces est que chacun possède son propre codage des couleurs. Ainsi, une même couleur n'aura pas les mêmes valeurs (r,v,b) dans un espace et dans un autre. Pour que les périphériques puissent se comprendre, il est impératif que leur "langage" soit connu. Pour cela, un descriptif de ce langage doit être incorporé aux images. C'est ce descriptif que contiennent les profils de couleur.


Les profils de couleur

Un profil de couleur est donc avant tout une description du système de codage d'un périphérique (ou d'un logiciel). Il révèle aussi l'étendue des couleurs dudit périphérique et peut ainsi être visualisé. Pour nommer cette gamme de couleurs, on emploie souvent le terme de gamut pour les écrans et les imprimantes. C'est aussi le cas pour les appareils photo, mais leur gamut est plus délicat à évaluer.
Il n'est pas indispensable de savoir ce que contient précisément un profil de couleurs. Retenez surtout que son incorporation à l'image est une condition absolument nécessaire pour une bonne gestion des couleurs. Pour vous en convaincre, lisez l'article sur la gestion des couleurs dans les navigateurs, qui montre (entre autres) les dégâts que peut causer l'absence de profil de couleur.

Comme indiqué en introduction, cette présentation rapide est seulement destinée à planter le décor de la gestion des couleurs, dans la continuité de l'article précédent. Les notions évoquées seront approfondies et illustrées ultérieurement. Comme il n'est jamais aisé de parler simplement de notions complexes, n'hésitez pas à ouvrir une discussion dans la zone des commentaires si quelque chose bloque votre compréhension.

Commentaires   

# Onikenji 25-02-2012 09:33
Simple, net et précis comme à l'habitude :D
Je sens que cette année mes impressions et la qualité de mon flux de production vont s'améliorer grâce à vous :wink:
# Patrick Moll 06-03-2012 20:19
Merci. Je vais faire de mon mieux pour être complet, mais le sujet est vraiment très vaste.
# jamais trop tard ...Henry 67 25-02-2012 13:47
Merci Patrick, pour ce "topo" !
En effet, en le lisant, je me suis rendu compte que j'avais négligé "la gestion des couleurs dans le navigateur" ...
Oubli réparé et ... résultat stupéfiant !
Mon écran (honnête sans plus), calibré avec Spyder, me donnait des résultats corrects sous Photoshop et ... très différents dans Firefox. C'est réglé !
# Patrick Moll 06-03-2012 20:18
Eh oui, il suffit de peu de choses pour passer de l'approximatif à la justesse. Calibrer son écran est un investissement qu'on ne regrette jamais !
# Et en plus...Graf 26-02-2012 16:12
Et en plus, comme toujours, pas la moindre faute d'orthographe.
Bref, la classe.
Merci et bravo.
# Patrick Moll 06-03-2012 20:17
Hélas, il s'en glisse de temps en temps, malgré ma vigilance. Quand on a écrit un long article, c'est souvent pénible de relire :wink: ...
# Quel profil pour l\'export ?santeuil 18-09-2012 18:48
Merci de cette démonstration de votre remarquable esprit de synthèse. Convaincu (par vous entre autres) de la nécessité de calibrer mon écran. J'ai fais l'acquisition d'une sonde X-Rite qui m'a éditer un profil pour mon écran dont je suis très satisfait.
Cependant, je ne sais pas quoi faire pour l'exportation de photos dans LR, puisque je dois préciser le profil que je veux voir attribuer à mes photos exportées. Faut-il choisir le profil de mon écran/espace de travail, celui que m'a calculé ma sonde ou bien choisir Adobe 98, puisque ceux qui verront mes photos sur leur ordinateur auront plus probablement ce profil ?
# Patrick Moll 19-09-2012 04:55
Le profil intégré aux images exportées n'a rien à voir avec celui du votre écran. Lightroom lui-même l'a ignoré, puisqu'il a fait tous ses calcules dans un espace immense voisin du ProPhoto RGB. Il l'a seulement pris en compte pour afficher les aperçus avec une colorimétrie exacte.

Le profil d'exportation dépend de la destination de l'image. Si c'est pour le web, choisir le sRGB est le plus sûr, pour garantir un affiche correct sur tous les écrans. Si c'est pour un stockage ou une visualisation dans un logiciel gérant bien les couleurs, le profil Adobe RGB est un bon candidat. Pour une impression, c'est plus complexe, car cela dépend du logiciel qui va la gérer. L'Adobe RGB comme espace intermédiaire est toutefois une bonne solution.

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