Juil 31 2011

Reportage avec le Sony NEX-5 : David contre deux Goliaths

convoi-transall_3.jpgNous avons récemment évoqué dans Alpha-numérique l'apparition de la fonction "peaking" dans le NEX-C3, et dans la mise à jour du firmware des NEX-3 et NEX-5. Cette fonction propose une aide à la mise au point manuelle par soulignement des contours nets, en utilisant les algorithmes d'autofocus à détection de contraste (ceci expliquant l'absence de cette fonction sur les boîtiers SLT fonctionnant par détection de phase).
Sur le papier, le système est simple et franchement génial. Les utilisateurs auront toutefois vite trouvé des limites à son utilisation : manque de précision en faible lumière, ou profondeur de champ inférieure à celle affichée par la fonction.
À l'occasion d'un reportage nocturne dans les rues Toulousaines, la compacité du NEX a été déterminante dans le choix du matériel à utiliser, et la focale du Voigtländer 35mm f/2.5 l'a emporté sur le Sony 16mm f/2.8 E, certes autofocus, mais dont la focale diminue la taille du sujet par rapport à son environnement. Reportage nocturne, pas de stabilisation, pas d'autofocus, l'occasion était belle pour vérifier ce que le NEX a "dans le ventre" en haute sensibilité et pour mettre en oeuvre le peaking sur des luminosités faibles ou de gros contrastes.

Le reportage a pour objet la traversée du centre-ville de Toulouse par deux convois exceptionnels transportant deux belles pièces : des cellules de Transall et d'Hercules vivant un inespéré dernier voyage, le quotidien de ces deux bêtes étant d'être cloué au sol pour essais...
Le principal problème est vite posé : l'éclairage urbain très parcimonieux dans certaines zones est toujours très limité en intensité face aux éclats des gyrophares. La balance des blancs très problématique et variant d'un mètre à l'autre a été réglée grâce à l'usage du RAW (au cas où j'aurais eu encore besoin d'être converti ;-) ), et le flare de l'objectif, certes limité, est tout de même crucial avec des sources lumineuses dans le champ cadré.


EXPOSITION

Les habitués des photos urbaines nocturnes connaissent le principal écueil : ne pas "enterrer" les ombres tout en n'éclaircissant pas trop la photo, pour un rendu naturel. Ici, j'appréhendais le problème posé par les gyrophares : ils peuvent éblouir la mesure d'exposition. Dans ce cas particulier, l'éventuel flare de l'objectif peut augmenter artificiellement la luminosité de toute la photo, et les avions se trouvent souvent au-dessus ou au-delà de la zone éclairée par l'éclairage public, quasiment à contre-jour. L'addition de ces éléments peut gravement sous-exposer la photo si la mesure multizone embarquée ne prend pas en compte toutes ces variables. Inversement une ambiance générale sombre peut conduire à la sur-exposition.
Bonne surprise, la mesure multizone a très bien réagi. Sur la photo suivante (sans gyrophares éblouissants), une compensation d'exposition à 0 donne une photo qui paraît sombre de prime abord, mais qui correspond tout à fait à l'ambiance sur place. Le piège classique est de surexposer pour avoir un histogramme centré, alors que la scène de départ est très sombre hors de l'éclairage public.

convoi-transall_1.jpg

Sur les photos suivantes quasiment toutes concernées par le problème des gyrophares, la compensation d'exposition à +0.7 dans des zones beaucoup plus éclairées a donné des résultats adaptés, et surtout réguliers : pas de sautes d'exposition. Ceci est très important en gardant en vue le post-traitement, un éventuel ajustement d'exposition stable en traitement par lot est très rapide, alors que cela prend un temps énorme si chaque photo doit être corrigée individuellement.


BALANCE DES BLANCS

L'éclairage urbain ne produit qu'une lumière orangée, d'une qualité fluctuante selon les rues, voire totalement imprévisible dans les rues "commerçantes" : néons, enseignes, projecteurs, etc. Ajoutons-y les fameux gyrophares (oranges ou bleus, pour simplifier les choses...), il devient impossible techniquement d'avoir une BDB correcte sur toute la photo. J'ai pris le problème du côté du respect de l'ambiance : à partir du RAW, on arrive à des fuselages blancs comme en plein jour, mais en contrepartie les immeubles et éléments hors éclairage public tirent alors très franchement sur le vert. Des ombres en nuances de vert n'ayant rien de naturel, j'ai décidé de conserver l'ambiance d'origine, telle que la percoivent nos yeux en réalité. Voici une photo dont les illuminants sont un éclairage public orange, une enseigne de magasin violette et des gyrophares bleus et oranges (!) :

convoi-transall_7.jpg

Adopter une BDB "automatique" à la prise de vue a évité de tromper la mesure de lumière avec de grosses variations selon la source d'une rue à l'autre, et finalement dans Lightroom la BDB a été réglée sur une même valeur en traitement par lot pour toutes les photos : 2633 K et -16 vers le vert. Certaines photos peuvent profiter d'un rendu moins chaud à 2100 K, mais au final les ombres tirent toujours autant sur le vert... Rectifier dans ce cas l'axe vert-magenta donne une teinte bleue à la lumière, très légère mais totalement antinaturelle et presque choquante. Bref, réglage "naturel" adopté ! À noter que la BDB "auto" a donné des résultats très corrects, les aperçus JPEG n'étant pas ratés.

convoi-transall_8.jpg


MISE AU POINT

LE test ultime pour le peaking ! J'ai utilisé la plupart du temps une ouverture de f/3.5, bon compromis entre profondeur de champ, temps de pose, flare et effet "étoile" sur les reflets et gyrophares. En contrepartie, la profondeur de champ sur des sujets "profonds" est limitée. Le peaking se fait facilement piéger sur des photos comme la suivante :

convoi-transall_6.jpg

Ici, le peaking à l'écran montre une zone nette de l'arrière de la voiture jusqu'aux phares à l'arrière de la cabine du camion éclairant l'avion. En fait le peaking fonctionnant en affichant les zones de plus fort contraste, il se fait piéger sur des situations avec de gros contrastes hors zone de mise au point. La plupart des photos étant faites dans ces circonstances, je craignais que la fonction soit inutilisable, alors qu'à côté le zoom de mise au point a du mal à être lisible en faible lumière : l'amplification de la visée bruite beaucoup l'image, et on peine à distinguer une zone nette à 6400 ISO.
Finalement, c'est l'addition des deux qui s'est montrée efficace et pratique : le peaking en zoom de mise au point devient beaucoup plus performant (il analyse des détails plus fins et nuancés), correspond à la profondeur de champ et n'impose plus de devoir scruter une image zoomée et tremblante. Impressionnant de facilité et de fiabilité là où un AF de reflex souffre avec des éclairages de face empêchant la mise au point sur des zones sombres...

convoi-transall_5.jpg

En général j'utilise le peaking de couleur jaune. Ici, bien évidemment, il suffit de regarder les photos pour comprendre que c'est inutilisable. Le rouge étant aussi peu visible pour les mises au point sur les tracteurs routiers rouges, j'ai finalement opté pour un blanc peu confortable en journée, mais très adapté ici. À noter qu'entre-temps "Germain" a publié un commentaire sur alpha-numerique proposant d'utiliser le mode noir et blanc pour faciliter la mise au point, ceci n'impactant que la visée et pas l'image enregistrée en RAW. Cela aurait très certainement facilité les choses dans mon cas.


FLARE

Le flare est plus lié à l'objectif qu'au boîtier, pense-t-on généralement. Il est en fait la conséquence de l'inadéquation de l'un à l'autre. Ce sont les capteurs numériques beaucoup plus réfléchissants qu'une pellicule qui ont mis en exergue ce problème, parfois simplement peu esthétique, mais ici de nature à voiler totalement la photo. Il y a peu de solutions hormis surveiller la présence de sources éclairant directement le capteur via l'objectif, et monter un pare-soleil : ce n'est pas le soleil qui gêne, mais bien les fortes lumières légèrement hors champ qui vont tout de même pénétrer l'objectif et diffuser un voile général, en plus de perturber les mesures. Le Voigtländer 35mm f/2.5 m'a agréablement surpris en étant peu sensible au phénomène, sa faible ouverture relative (pour un fixe) n'étant pas pour rien dans ce résultat. Je l'avais préféré au 35 f/1.4 quasi identique de la même marque justement à cause de la sensibilité des ces objectifs classiques hyper lumineux au flare et autres aberrations (coma, etc.) en photo nocturne, je ne suis pas déçu du résultat même s'il convient de rester attentif aux sources lumineuses.

convoi-transall_4.jpg

On notera que les abords proches des spots lumineux ne sont ni désaturés, ni voilés.


DYNAMIQUE

Il faut beaucoup de dynamique pour de tels sujets, et les hautes sensibilités n'y sont pas favorables. Son évolution est lente, mais continuelle depuis l'avènement du numérique, et ce qui était un handicap il y a quelques années face au film est devenu un point fort : quelle pellicule couleur aurait gardé des détails à 3200 ISO à la fois sur l'arrière de la remorque éclairé par des phares et sur le côté gauche du fuselage au loin à contre-jour ? (photo sur laquelle les hautes et basses lumières ont été "rattrapées" en RAW, le JPEG ne disposant pas assez de réserve).

convoi-transall_2.jpg

Je ne m'étendrai pas sur le piqué ou la colorimétrie, ceux-ci étant ici par trop dépendants de la pluie, du post-traitement et des conditions d'éclairage particulières. J'en retiens seulement des photos exploitables en A4 à 6400 ISO. Pour tirer plus grand, éventuellement en sensibilité plus faible, il aurait fallu un trépied (inutilisable ici), mais en A4 la netteté est suffisante à main levée quelle que soit la sensibilité.


CONCLUSION

Au final, les résultats sont largement au niveau de ceux obtenus avec un reflex récent et performant. Sur le terrain quelques possesseurs de reflex (et pas des moins bons, Nikon D700 en tête) ont été convaincus par le rapport encombrement/résultats du NEX-5, avec même quelques avantages pratiques marginaux, mais potentiellement déterminants :
  • la lentille frontale minuscule et encaissée du 35 f/2.5 est très peu sensible à la pluie, ce qui évite nombre de photos gâchées par des taches de gouttes. Un 24-70 f/2.8 doit être nettoyé très souvent, ce qui n'est pas des plus aisé en situation.
  • la mise au point par détection de contraste, qu'elle soit AF (avec le 16mm sur quelques photos) ou manuelle avec l'aide du peaking, est quasiment insensible aux lumières fortes dirigées vers le boîtier. Là où un AF de reflex est "aveuglé" par le flare, la détection de contraste continue à fonctionner dans les hautes lumières.
  • le gabarit minuscule du NEX, même avec un pancake monté, permet de le ranger dans une poche de veste à l'abri entre les photos, alors qu'un reflex devra rejoindre son fourre-tout étanche. Fourre-tout dont il faudra ôter la protection étanche et mouiller l'intérieur pour y accéder. Le fourre-tout du NEX reste sec pendant ce temps... Reste la solution de la housse étanche pour le reflex. Les utilisateurs (dont je fais partie) en connaissent le coût en terme de maniabilité, accès aux réglages et possibilités de cadrage.
Des regrets ? Un seul en fait, mais considérable : l'absence d'optiques Sony permettant un usage "reportage" du NEX. Il s'agit d'un boîtier exceptionnel dans ces circonstances, mais pour lequel il faut choisir actuellement entre un 16mm trop court en reportage, ou deux zooms dont l'un (le 18-200) est lourd et encombrant. Le 18-55 aurait été d'un emploi plus simple, plus souple en cadrage et plus rapide en mise au point, mais il ne tient plus dans une poche... L'arrivée annoncée d'un 24mm fixe dans la gamme est une excellente nouvelle, mais si sa luminosité en fait un gros gabarit, le principal avantage du NEX face à un reflex restera compromis. Que Leica ou Voigtländer soient les meilleures solutions compactes et qualitatives devrait inciter Sony à s'interroger sur les raisons de leur succès dans la catégorie des "experts" NEXistes...


DIAPORAMA

Voici une sélection de 18 photos tirées de ce reportage, présentées ici sous forme de diaporama "manuel". Cliquez sur n'importe quelle vignette pour ouvrir l'image en grand format. Vous pouvez alors rester dans le popup pour visionner toutes les images en cliquant sur les flèches qui apparaissent lorsque vous passez la souris sur l'image, ou tout simplement en utilisant les flèches de votre clavier.

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Commentaires   

# Très beau et bon reportagealgo 01-08-2011 12:38
Tout d'abord bravo pour ce reportage d'une actualité rare et bravo pour le reportage sur le reportage!

Je partage tout à fait vos conclusions sur le NEX et les optiques ainsi que l'utilisation du "peaking" (je n'aime pas ce mot mais pas trouvé d'expression simple en français équivalente).

Je constate que depuis que j'ai le NEX je fais 80% de mes photos avec, mon Canon 5D et sa flopée d'optique ne me servant vraiment que dans les portraits ou photos plus d'action.

Sur les objectifs même chose le Voigtlander 15/4,5 est quasiment monté en permanence le Sony 18-55 reste dans le sac et ne sort que si j'ai besoin de me rapprocher du sujet sans pouvoir me déplacer.

Il manque un objectif similaire dans la gamme E. Encore que j'avoue aimé faire la mise au point!!!
# Enfin un reportage sur le Nex sérieuxPatrik 25-10-2011 04:12
J'ai passé des jours à rechercher ce genre de reportage concernant l'utilisation d'un nex et d'un objectif Voigtländer.

Je tombe la plupart du temps sur des forums sans envergure, ou finalement ont ne parle pas vraiment technique, mais plutôt d'expérience sentimentale d'individus qui ne semble en fin de compte s'intéresser plus à l'objet qu'à la finalité de l'objet, l'expérience sur le terrain, la photographie.

J'aime le contenu de votre reportage, vos ressentis en temps que photographe qui donne ses impressions et partage son expérience technique qu'il a rencontrée dans ce reportage de nuit. Je vous dis un grand bravo, continuez SVP comme cela, vous faites un travail fantastique. Je pourrais vous lire pendant des heures, espérant que vous puissiez partager avec nous d'autres reportages comme celui-ci....Merci
Patrik
# Patrick Moll 25-10-2011 06:18
Merci à vous... :-)
Je donne une réponse globale en attendant celle de Julien, qui a écrit l'article.
La différence fondamentale entre un article comme celui-ci et ce que l'on trouve généralement dans les magazines ou sur le Net est que la description du boîtier et/ou de l'objectif est faite par quelqu'un qui l'utilise au quotidien et le connait vraiment bien. Cela étant, il faut considérer toutes les sources d'informations comme étant complémentaires. Sur Alpha-numérique, on essaie précisément d'apporter des informations qu'on trouve plus rarement ailleurs. Ce n'est pas simple, mais on s'y efforce... :wink:
# Jeromaniac 17-03-2012 18:45
Très bon reportage, impressionant ce petit Nex 5n, je viens de le recevoir aujourd'hui :-)
# Julien 19-03-2012 21:57
Plus qu'à trouver du temps (ou l'occasion) pour renouveler l'expérience :lol:
Le 5n est bien plus performant que le 5 en faible lumière, mais c'est vrai que le niveau atteint depuis 2 ans même en APS-C a fait franchir un cap : celui de pouvoir utiliser un boîtier en toute circonstance. L'évolution tient à la taille des tirages que l'on pourra faire à partir des fichiers, mais aussi aux fondamentaux peu mesurés alors qu'ils deviennent plus limitants que le bruit numérique : dynamique, couleurs, etc :wink:

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